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Bien que peu de gens le sachent, fort rares sont ceux qui refuseraient de reprendre des strokes au dessert des rencontres humaines.
Mais que sont ces choses au nom bizarre ?
« Vous savez qu’il se fait des expériences sur le comportement des rats qui nous renseignent sur le comportement humain, évitant ainsi de pratiquer ce genre d’expérience sur des humains. L’expérience suivante est devenue aujourd’hui un grand classique.
On élève trois groupes de rats de manières différentes. Sauf en ce qui concerne la qualité de la nourriture et du logement où, là, les conditions sont identiques.
Avec le 1er groupe – A – on se montre « gentil », « aimable », on caresse les rats au moment de les nourrir, et même.. on leur « parle » (comme avec les bocaux de riz dans le film « Les petits mouchoirs » de Guillaume Canet).
Avec les rats du 2ème groupe – B – on fait le contraire. On se montre « méchant », agressif au moment de les nourrir, on leur donne même des coups.
Quant au 3ème groupe – C – on les nourrit automatiquement par un distributeur de nourriture. On évite d’avoir toute forme de contact avec eux.
Après quelques mois, on constate d’importantes différences de l’état de santé des rats. »
En effet, s’il n’est pas surprenant d’apprendre que les 3 groupes de rats se retrouvent dans des états de santé différents parce qu’on s’est comporté différemment avec eux en les nourrissant, tout le monde ne réagit pas de la même manière lorsque l’on pose la question : « Selon vous, quel est le groupe de rats qui se porte le mieux ? »
Ici, pas d’hésitation. Tout le monde répond : « Le groupe A » mais lorsque l’on demande : « Quel est le groupe qui va le plus mal ? Dont l’état de santé est le moins bon ? »
Cette question ne donne pas une réponse aussi spontanée et unanime. Certains répondent « Le groupe B » et d’autres « Le groupe C ».
Et vous-mêmes chers lecteurs ? Qu’auriez-vous répondu ?
Pourquoi est-ce le groupe C dont l’état de santé est le plus défaillant ?
Parce que – sans doute pour TOUS les êtres vivants – il est indispensable de recevoir des stimulations provenant de l’extérieur de soi.
Indispensable, absolument nécessaire pour maintenir en bon état la moelle épinière des êtres vivants équipés d’un système nerveux. Donc, nos rats du groupe A se portent bien parce qu’ils reçoivent bien leur dose de stimuli, tout comme en reçoivent les rats du groupe B et contrairement aux rats du groupe C qui n’en reçoivent pas des laborantins chargés de suivre l’expérience. Il s’en dégage une loi, très (trop) peu connue propre aux êtres vivants :
MIEUX VAUT RECEVOIR DES STIMULATIONS NEGATIVES (des coups ou des critiques, par exemple) QUE PAS DE STIMULATION DU TOUT.
Ce que la sagesse populaire avait pressenti depuis longtemps en disant : « Aime-moi ou hais-moi, mais ne m’ignore pas ! ».
Dans une autre étude – demeurée tristement célèbre parmi les spécialistes – René Spitz a révélé en 1945, que les mêmes observations ont pu être établies sur de jeunes nourrissons.
Éric Berne, médecin psychiatre américain et fondateur de l’Analyse Transactionnelle (AT), en fait état dans son ouvrage « Des jeux et des Hommes » (1975) : « Les nourrissons que l’on ne manipule pas durant une période prolongée ont finalement tendance à décliner de manière irréversible, et finissent par succomber à la maladie qui se déclare. »
Et aussi – déduction moins surprenante mais lourde de conséquence : « Les formes préférées de stimuli sont celles que fournit l’intimité physique (c’est-à-dire des étreintes ou caresses, par exemple). » Donc, ce qui est vrai pour les rats l’est également pour les êtres humains qui, pas plus que les rats, ne le savent consciemment : il est indispensable de recevoir de notre entourage des stimulations. Notre nature nous porte à préférer les stimulations positives (agréables, « gentilles », valorisantes). Mais si la perspective d’obtenir des stimulations positives s’avère trop difficile, ou carrément impossible, notre moelle épinière et notre système nerveux – pour ne pas risquer le flétrissement – nous entraînent à rechercher des stimulations négatives (coups ou « coups psychologiques » que sont la méchanceté, l’agressivité des autres).
Éric Berne dans l’introduction de son « Des Jeux et des Hommes » introduit la notion de stroke* : « Il est permis d’employer le mot stroke afin de désigner tout acte impliquant la reconnaissance de la présence d’autrui. »
C’est-à-dire qu’en lançant un simple regard à quelqu’un ou en lui adressant gentiment la parole, en lui souriant ou, par contre, en lui donnant un coup – physique ou psychologique – en l’insultant, en l’ « engueulant », en le frappant, on lui donne un stroke.
Ceci nous amène à comparer le stroke à une calorie psychologique.
Et, de même qu’il existe des aliments riches ou pauvres en calories, les contacts humains sont riches ou pauvres en strokes (bien qu’en matière de strokes, il n’existe pas d’instrument de mesure ; à cela s’ajoute la valeur subjective de la « mesure »).
La comparaison avec les calories n’a de valeur que pour indiquer la diversité de conteneur en strokes des différents types de contacts humains. De ce point de vue, nous ne résistons pas à vous présenter ce « petit Strokoscope de Poche » – absolument non homologué – indiquant la teneur en strokes des divers types de contacts entre humains. Cette planche n’est pas exhaustive.
Éric Berne constate que les humains vont – la plupart du temps de manière non consciente – « s’arranger », faire des choses pour obtenir leurs strokes (signes de reconnaissance).
Bien que l’on ne puisse pas définir la quantité de strokes nécessaire par jour, on peut poursuivre la comparaison avec les calories. En effet, certains ont davantage d’appétit que d’autres. De même, on peut constater qu’un humain peut rester quelque temps sans manger, on peut également rester un certain temps sans obtenir de strokes. Mais pas trop longtemps ! Les capacités à engranger des réserves varient d’un individu à l’autre. Certains peuvent vivre isolés plus longtemps et mieux que d’autres. L’histoire de vie de chacun détermine la façon dont on a appris à obtenir ses strokes et les types de strokes (positifs ou négatifs) que l’on est habitué à recevoir ou pas.
Voilà ce qui explique pourquoi la situation de grand malade peut être si pénible à certains, le manque de strokes s’avérant parfois plus douloureux que la maladie elle-même.
Voilà aussi pourquoi certains recherchent en vacances, notamment, davantage la solitude et le calme – ceux dont l’existence quotidienne fournit une dose importante de strokes (ceux que le métier met beaucoup en présence des autres) tandis que d’autres vont rechercher des lieux et des périodes animés. Certaines personnes semblent être boulimiques en matière de strokes et ne jamais éprouver le besoin d’isolement.
Éric Berne écrivait dans son dernier ouvrage « Que dîtes-vous après avoir dit Bonjour ? » que la vie semble n’être – pour la très grande majorité de nos contemporains – que la recherche effrénée de strokes, et notre organisation sociale qu’une série de moyens pour en organiser la production et la distribution. Cela donne à réfléchir…
Moralité et applications concrètes de ce récit* ?
Il y en a plusieurs selon moi :
- Accepter toutes nos expériences passées (personnelles ou professionnelles) même désagréables ou douloureuses car elles ont du sens et nous ont apporté quelque chose (une compétence ou un savoir-être comme la capacité de résilience ou celle d’empathie, par exemple) – « Mieux vaut des strokes négatifs que pas de strokes du tout ! » comme pourraient le dire les rats de R. Spitz ;
- Communiquer (de manière pertinente ou pas) est essentielle. Traduisez vos pensées en mots. Apprenez à traduire vos ressentis, vos besoins psychologiques avec des mots concrets afin d’être compris et de mieux comprendre les personnes qui vous entourent ;
- Faîtes des feedbacks (strokes ou signes de reconnaissance) à votre entourage (professionnel, amical et familial) ! Apprenez à en faire avec la méthode dite du « sandwich » : commencez toujours par dire une chose positive (le pain) puis annoncez la chose négative ou à améliorer (le jambon) et terminez par une phrase encourageante ou valorisante (le pain) ;
- « Aime-moi, déteste-moi, mais ne sois pas indifférent ! ».
Expérience sur du riz:
Avant
Après
Stroke* : ce terme anglais signifie « coup » et « caresse ».
*Sources :
L’analyse transactionnelle de René de Lassus
Image issue du film « Les petits mouchoirs ».